« Certaines choses, il arrive qu’on ne veuille pas les voir, je le sais bien ; je suis comme tout le monde, une forme d’aveuglement ne m’est pas étrangère. Parfois, c’est un luxe. Un moyen de défense face à la violence du monde. Parfois aussi, l’aveuglement est la violence du monde, et on essaie d’imposer à l’autre de ne pas voir. »
En 2019, la rédaction de Libération a demandé à Jakuta Alikavazovic de tenir une chronique dans la rubrique « Écritures ». La mission : un texte par mois ; sujet libre. Que faire alors de cette contrainte alliée à une vertigineuse liberté ? Elle y répond à sa manière, car le monde offre toujours de quoi faire, plus que jamais quand on le regarde de biais, avec ironie, humour, un sens précieux du détail et une dose nécessaire de poésie. Dans ce livre, il est question d’un penny exposé au British Museum, de la mort d’un chat, d’un hamster et, parfois, d’espoir.
Si l’on s’en tient aux faits, l’auteure passe la nuit du 7 au 8 mars 2020 au musée du Louvre, section des Antiques, salle des Cariatides, avec un sac en bandoulière dans lequel il y a, entre autres, une barre de nougat illicite.
Les faits, heureusement, ne sont rien dans ce livre personnel, original, traversé d’ombres nocturnes et de fantômes du passé, de glissades pieds nus sous la Vénus de Milo, ce livre joyeux et mélancolique, qui précise vite son intention : « Je suis venue ici cette nuit pour redevenir la fille de mon père. »
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Pour écrire ce livre, Sylvain Prudhomme a parcouru en autostop les 2500 km qui séparent les deux extrémités de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Un périple qui lui a fait croiser des ouvriers, des camionneurs, un trafiquant de drogue, un artiste, une employée de station-service… Coyote restitue la voix de ces inconnus rencontrés au hasard de la route et donne à voir leurs visages, saisis à la volée.
À travers ces fragments de vie, Sylvain Prudhomme brosse un portrait sensible et humain de cette zone frontalière, qu’on ne connaît que par l’hyper-violence des faits divers et les discours de campagne de Trump.
« Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s’embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s’aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s’aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d’un désir éphémère, l’éclair d’un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui. »
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